La critique féministe du libéralisme dans le contexte des anti-gender politics

La critique féministe du libéralisme dans le contexte des anti-gender politics

Raphaël Demias-Morisset
Doctorant en science politique, Institut de recherche Montesquieu, Université de Bordeaux

Depuis le développement des critical legal studies puis des feminist studies et de la critical race theory à partir des années 1970, les réflexions sur les injustices et les inégalités mobilisant le genre en tant que catégorie analytique ont conduit à d’importantes réflexions critiques sur le libéralisme, tant dans son versant théorique qu’institutionnel. Or, depuis la révolution conservatrice des années 1980, et depuis l’appropriation croissante du terme d’illibéralisme par la droite radicale à partir des années 2010, la critique du libéralisme se développe également à droite, ce qui interroge quant au contenu et à la cohérence de ces critiques. Dans ce contexte, on peut se demander comment la critique féministe du libéralisme s’est adaptée à cette appropriation de l’illibéralisme à droite, mais également, si cette critique féministe du libéralisme est vraiment « illibérale » comme le dénonce de façon croissante des chercheurs et intellectuels qui englobent dans le périmètre de l’illibéralisme les critical legal studies et les courants intellectuels d’extrême droite en Europe et aux États-Unis.

La double hypothèse défendue dans cette communication est que non seulement la théorie féministe n’est pas illibérale, mais qu’elle s’est en plus adaptée à la montée d’un conservatisme illibéral depuis les années 1980, et qu’elle constitue une ressource privilégiée pour comprendre les implications de l’abandon du libéralisme par la droite conservatrice. Notre démonstration s’appuie sur une comparaison des travaux de Catherine MacKinnon et Wendy Brown afin de montrer dans un premier temps, que la critique matérialiste de la justice développée par C. MacKinnon n’est ni incompatible avec le libéralisme sous sa forme institutionnelle, ni sous sa forme philosophique, ce qui a impliqué la reproduction de certaines injustices propre à la nature patriarcale de l’État libéral. Dans un second temps, nous avons tenté de montrer que les travaux de Wendy Brown dénoncent précisément la nature ontologiquement « illibérale » de l’État libéral, c’est-à-dire l’incapacité du libéralisme à garantir l’universalisme qu’il promet, et ce, malgré les réformes visant à pallier aux manquements du libéralisme. De ce point de vue, l’œuvre de Wendy Brown apparaît à la fois cruciale pour la réflexion sur la notion de justice, mais également pour la conceptualisation de l’illibéralisme.

Mots-clés : féminisme, genre, constitutionnalisme, illibéralisme, justice

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The feminist critique of liberal constitutionalism in the context of anti-gender politics

Raphaël Demias-Morisset
Doctoral student in political science, Institut de recherche Montesquieu, University of Bordeaux

Since the development of critical legal studies, then feminist studies and critical race theory from the 1970s onwards, reflections on injustices and inequalities using gender as an analytical category have led to important critical reflections on liberalism, both in its theoretical and institutional aspects. However, since the conservative revolution of the 1980s, and the increasing appropriation of the term illiberalism by the radical right from the 2010s onwards, criticism of liberalism has also been developing on the right, which raises questions about the content and coherence of this criticism. In this context, we might ask how the feminist critique of liberalism has adapted to this appropriation of illiberalism by the right, but also whether this feminist critique of liberalism is really ‘illiberal’, as is increasingly denounced by researchers and intellectuals who include within the perimeter of illiberalism critical legal studies and far-right intellectual currents in Europe and the United States.

The twofold hypothesis defended in this paper is that not only is feminist theory not illiberal, but that it has also adapted to the rise of illiberal conservatism since the 1980s, and that it constitutes a privileged resource for understanding the implications of the conservative right’s abandonment of liberalism. Our demonstration is based on a comparison of the works of Catherine MacKinnon and Wendy Brown in order to show, firstly, that the materialist critique of justice developed by C. MacKinnon is neither incompatible with liberalism in its institutional form, nor in its philosophical form, which has implied the reproduction of certain injustices specific to the patriarchal nature of the liberal state. Secondly, we have tried to show that Wendy Brown’s work denounces precisely the ontologically ‘illiberal’ nature of the liberal state, i.e. the inability of liberalism to guarantee the universalism it promises, despite the reforms designed to remedy liberalism’s shortcomings. From this point of view, Wendy Brown’s work is crucial both for thinking about the notion of justice and for conceptualising illiberalism.

Keywords : feminism, gender, constitutionalism, illiberalism, justice

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