Juliette Davret

Juliette Davret est docteure en géographie (Université de Nantes, 2023) et chercheuse postdoctorale à l’Université de Maynooth (Irlande) au sein du projet Data Stories (ERC advanced grant).
Formée aux sciences sociales, elle mène des recherches interdisciplinaires à la croisée de la géographie sociale, des études critiques des données et des sciences and technology studies (STS).
Ses recherches portent sur les relations de pouvoir à travers une analyse critique des données et des technologies numériques.
Elle mobilise des méthodes qualitatives pour étudier les inégalités produites par les données dans la gouvernance territoriale et la planification spatiale. Ses travaux ont été publiés dans des journaux tels que Mobilities, Journal of Envionmental Policy & Planning ou encore Ocean & Coastal Management.
En 2022, elle a été chercheuse invitée à l’Université de Wageningen (Pays-Bas), elle est également chercheuse associée à l’Université de Copenhague (Danemark) et lauréate de l’appel Young Visiting Scholar MSHBx 2025 Trajectoires, pratiques et enjeux des données numériques dans la gouvernance – DATALIFE.
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[Portrait]
Parlez-nous de votre parcours
Mon parcours s’ancre dans les sciences sociales, avec une spécialisation en géographie et en science de l’information géographique. J’ai commencé mes études supérieures par deux années de classe préparatoire puis une troisième de licence en histoire et géographie à l’université de Bordeaux. J’ai ensuite poursuivi par un master en aménagement à l’université de Nantes. Après ce cursus universitaire classique, j’ai réalisé une thèse à l’université de Nantes, soutenue en 2023, sur les enjeux de pouvoir liés à l’information géographique dans la panification maritime. Dans le cadre de ma thèse, je suis partie huit mois aux Pays-Bas comme chercheuse invitée à l’Université de Wageningen au sein du groupe Environmental Policy. Mes recherches doctorales ont posé les bases d’une réflexion plus large sur la place des données dans la fabrique des territoires. Aujourd’hui, je suis chercheuse postdoctorante à l’université de Maynooth, en Irlande, dans le cadre du projet Data Stories au sein d’une équipe multidisciplinaire. Le projet Data Stories porte une attention particulière aux bases de données sous-jacentes à la planification et l’activité immobilière à Dublin notamment. Je suis également chercheuse associée à l’Université de Copenhague depuis 2024 suite à l’obtention de la bourse INTERSECT et chercheuse associée sur le projet Data Loss portée par l’université de Copenhague également, toujours dans le cadre de mon expertise sur les données numériques.
Quelles sont les thématiques de recherche sur lesquelles vous travaillez ?
Mes recherches portent sur les effets sociaux et politiques de l’information numérique, notamment dans les processus de planification spatiale et de gouvernance territoriale. Je m’intéresse aux logiques de pouvoir et de savoir qui structurent la production et la circulation des données, en croisant géographie critique, études des données, et STS. Dans le cadre du projet Data Stories, j’ai par exemple analysé les méthodes de comptage des personnes sans domicile fixe, qui, en sous-estimant l’ampleur du phénomène, contribuent à invisibiliser une partie de la population dans les processus décisionnels. Dans un autre volet du projet, j’ai étudié les logiques de marchandisation des données à travers l’analyse du rôle d’intermédiaires privés dans l’écosystème des données de planification. Ces recherches montrent comment des systèmes de données initialement publics peuvent être transformés en produits commerciaux, ce qui reconfigure les dynamiques de pouvoir et les possibilités d’accès. Parallèlement, je m’intéresse à la participation citoyenne dans la planification à l’ère numérique, en mettant en lumière les inégalités d’accès et la portée réelle de cette participation. J’ai aussi mené une étude sur les stratégies des mouvements sociaux en matière de logement, notamment la création de contre-données par les activistes, qui éclaire la façon dont les données deviennent aussi un outil de contestation. Ces travaux rejoignent les réflexions menées dans le projet Data Life, lauréat de l’appel « Young Visiting Researcher » 2025 de la MSHBx.
Quelles sont les grandes questions qui animent les chercheurs sur le/les thèmes des études critiques des données ?
Les grandes questions qui animent la recherche dans ce champ concernent la manière dont les données façonnent la représentation des territoires, influencent les politiques publiques et redéfinissent les rôles des acteurs de la fabrique de l’espace. J’explore notamment comment les outils numériques peuvent invisibiliser ou renforcer certaines voix, tout en créant de nouvelles dépendances techniques et institutionnelles. Un autre enjeu important est la matérialité et la plasticité des données : comment comprendre leur instabilité, leur réutilisation et leur performativité dans des dispositifs de gouvernance ? Et quelles sont les logiques de pouvoir intrinsèque à la circulation des données : qui produit, qui contrôle, qui interprète ? Le projet Data Life que je porte avec Matthieu Noucher (chercheur CNRS) aborde ces interrogations à travers une lecture critique et interdisciplinaire pour révéler les tensions entre standardisation et appropriation. Il s’agit aussi de penser la manière dont les données produites dans des contextes spécifiques sont rendues légitimes – ou non – dans les processus décisionnels, souvent influencés par des logiques globales, technocratiques et opaques.
Est-ce qu’il y a des questions ou des travaux que vous souhaiteriez nous présenter ?
J’aimerais mettre en avant mes travaux récents sur la planification urbaine et les politiques du logement, qui montrent comment l’usage croissant de données transforme les métiers de l’aménagement et les relations entre parties prenantes. À travers des méthodes qualitatives et des démarches de recherche-création, je cherche à rendre visibles les échanges de données, c’est-à-dire leurs circulations, usages et effets dans des contextes concrets. Le projet Data Life, que je développe avec Matthieu Noucher, s’inscrit dans ce cadre. Il propose une exploration conceptuelle et méthodologique du cycle de vie des données à partir d’études de cas empiriques qu’il nous faudra définir. Par exemple, nous souhaiterions analyser des plateformes ouvertes ou des jeux de données locaux utilisés dans des démarches participatives. Ces contextes permettent de mieux comprendre comment les données sont traduites, réinterprétées ou parfois invisibilisées dans des logiques de gouvernance. À travers cette démarche, il s’agit aussi de rendre ces dynamiques intelligibles pour les acteurs publics et de proposer des méthodologies transposables.
Est-ce qu’il y a des questions qui restent pour vous des énigmes dans le champ des études critiques des données ou que vous souhaiteriez approfondir ?
Plusieurs zones d’ombre subsistent et nourrissent mes perspectives de recherche. L’une des grandes énigmes concerne les transformations « silencieuses » des données : comment, au fil de leurs circulations, les données changent-elles de signification, et comment ces modifications influencent-elles les décisions prises ? Une autre question centrale porte sur la gouvernance des données dans des contextes multi-acteurs : comment articuler standards globaux et réalités locales sans écraser les savoirs situés ? Enfin, je m’interroge sur la place des absents dans les jeux de données : quelles voix ne sont pas représentées, et pourquoi ? Le projet Data Life vise précisément à investiguer ces dimensions, en croisant analyse critique, ancrage empirique et réflexion méthodologique. Mon objectif à long terme est de proposer des dispositifs d’analyse et de visualisation capables de rendre visibles les bifurcations, les détournements ou les effacements qui jalonnent la trajectoire des données dans les systèmes de gouvernance contemporains.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
mshbordeaux (22 avril 2025). Juliette Davret. Maison des Sciences Humaines Bordeaux. Consulté le 17 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13s6a