Salomé Lannier

Discipline(s) de la thèse : Droit privé et sciences criminelles Mots clés : traite des êtres humains ; nouvelles technologies ; souveraineté ; acteurs numériques ; contrainte légitime Date de soutenance : 18 décembre 2023 Nom de la directrice de thèse : Mesdames Bénédicte Lavaud-Legendre et María Teresa Alemany Jordán Laboratoire de rattachement pendant la thèse : Centre d’Étude et de Recherche Comparative sur les Constitutions, les Libertés et l’État (EA 7426 CERCCLE) École doctorale : ED Droit (ED41, Université de Bordeaux)

Présentation de son travail doctoral

La technologie facilite la traite des êtres humains, une infraction pénale qui aboutit à l’exploitation des personnes. Tant les États comme les acteurs du numérique participent à la lutte contre la traite. Par cet objet d’étude, cette thèse questionne la théorie de la souveraineté.

Les forces étatiques doivent réprimer la cyber-traite, mais cela requiert, de plus en plus, la collaboration des acteurs du numérique, remettant en question l’indépendance de l’État dans l’exercice de ses missions souveraines. Face au rôle de certaines plateformes dans des processus de traite, certains États ont tenté de requérir leur responsabilité pénale. Pourtant, une telle stratégie n’a pas, pour l’instant, engendré une amélioration de la répression de la traite ou de la protection des victimes. Différemment, États et plateformes peuvent coopérer, notamment pour l’identification de contenus en ligne liés à la traite. Ces interconnexions entre acteurs, tous nécessaires face à des enjeux complexes, offre une nouvelle piste pour penser la souveraineté : l’interdépendance, notamment afin de développer des solutions tant techniques que juridiques perçues comme légitimes.

Trois questions à Salomé Lannier

Quel rôle a pu jouer l’interdisciplinarité dans votre travail de recherche ?

L’interdisciplinarité est au cœur de ma recherche sur la traite des êtres humains, un phénomène souvent transnational mais toujours complexe, nécessitant une analyse au-delà du cadre juridique.

En intégrant la criminologie et la sociologie, j’ai pu comprendre comment le numérique impacte les phénomènes criminels et les opportunités de prévention, de répression et de protection. Sachant que ma thèse portait sur les relations entre nouvelles technologies et traite des êtres humains, il me fallait donc étudier la littérature scientifique sur ce sujet pour analyser mon objet d’étude.

Les Media Studies apportent une analyse critique du rôle des plateformes, des discours qui y sont partagés, ce qui me fût nécessaire pour comprendre les intersections et différences entre la définition juridique de la traite dans l’Union européenne, les définitions étasuniennes, et les standards établis par les acteurs privés.

Enfin, les études féministes m’ont ouvert une approche critique de concepts juridiques, notamment ayant trait à la protection ou la vulnérabilité des victimes, mais aussi aux rôles traditionnels des acteurs publics, notamment de l’État, et des acteurs privés, ici, les plateformes.

En quoi votre regard de chercheuse, sur les domaines de recherche que vous avez explorés, pourrait-il être utile à des évolutions de notre société ?

Les acteurs de terrain qui luttent contre la traite ont un travail titanesque aux priorités quotidiennes. La recherche permet de prendre du recul. Quand la technologie se lie au processus de traite, les besoins des victimes peuvent se diversifier. Finalement, le domaine pénal leur offre peu de droits. Par contre, le Règlement Général sur la Protection des Données va leur permettre d’accéder à leurs données et d’en demander la modification ou la suppression. Le Règlement sur les Services Numériques pourrait offrir à des associations de lutte contre la traite une coopération plus rapide avec les plateformes pour retirer du contenu.

Je pense que la recherche est aussi utile pour remettre de la complexité face à des discours (politiques, médiatiques, etc.) de plus en plus binaires, voire réfutant complètement les résultats de la recherche par idéologie. Étudier la grande variété des formes de traite et d’exploitation permet de réfléchir à des solutions concrètes plutôt qu’à des mesures politiques, souvent d’interdiction (migration, prostitution, etc.) ou de surveillance, qui auront probablement plus d’effets négatifs sur les droits fondamentaux que d’impact positif.

Quels conseils donneriez-vous à un.e jeune chercheur.e qui débuterait actuellement son travail de recherche doctorale ?

Trouver la méthode d’organisation qui vous convient et les outils qui s’y prêtent. Que ce soit un logiciel de prise de note ou un carnet de recherche à l’ancienne. Que ce soit écrire le matin, à midi ou la nuit. Utilisez un logiciel de gestion de bibliographie, c’est indispensable.

Se fixer des petits objectifs intermédiaires, car « écrire ma thèse », ça ne motive personne.

Tentez des trucs : allez en conférence, envoyez des abstracts ou des articles, contactez des chercheur.ses sur LinkedIn (ou autre) pour échanger. N’ayez pas peur de parler anglais, de toutes façons ce n’est pas la langue maternelle de la majorité des chercheur.ses.

Sortir, voir des gens (hors chercheur.ses), faire du sport. Pensez à prendre soin de vous.

Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une super équipe encadrante et laboratoire de recherche. Il faut apprendre à gérer les obstacles (notamment administratifs). Mais il ne faut pas toujours faire des compromis. La recherche évolue, et tout le monde n’est pas d’accord avec ça. Il faut parfois savoir se défendre bec et ongles pour maintenir un choix de thèse. Mais c’est votre thèse, avec votre part de créativité, donc faites-vous confiance.

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