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Humanisme et usages du numérique dans les territoires pour repenser l’éducation et la formation des enfants de l’école primaire à l’ère du numérique

Humanism and the use of digital technology in the territories for rethinking elementary school education and training in the digital era

Article issu de la 18e conférence EUTIC: Humanisme numérique et durabilité sociale, MSH Bordeaux, 11-13 octobre 2023 organisée dans le cadre de l’Appel à projets MSHBx 2023 EUTIC2023.


Charles NKUNA WA NKUNA
Médiations, Informations, Communication, Arts (MICA),
Axe Information, Communication, Innovation Numérique (ICIN)
Université Bordeaux-Montaigne, France
Nkuna.charles[at]gmail.com


Résumé
L’humanisme numérique, une agrégation des termes humanisme et numérique, tisserait son emprise et aurait une place primordiale dans la formation et l’éducation des élèves du cycle primaire à cette ère du numérique. La considération du rôle de l’apprenant dans la mutation vers l’enfant du numérique est essentielle. Une facette du jeune être humain, agissant en non-humain qui use de sa partie humaine pour son existence numérique réelle. Il lui est utile d’apprendre les principes régissant l’espace virtuel avant sa conversion en être numérique.
L’adulte, l’autre composant de la société numérique, est aussi utile que l’élève pour réussir la transition numérique à l’école. Celui-ci devrait entamer sa formation par le numérique que par l’humanisme numérique. L’inverse est aussi vrai, car les cours au primaire s’amorcent avec les disciplines traditionnelles. Ce qui augure un double objectif à cette recherche : embarquer l’enfant dans la mutation numérique ; et former, en amont, les adultes censés le conduire à l’humanisme numérique.

Mots-clés : numérique, humanisme, humanisme Numérique, école primaire, enfants

Abstract
Digital humanism, an aggregation of the terms humanism and digital, would weave its spell and have a primordial place in the training and education of primary school pupils in this digital age. It is essential to consider the role of the learner in the transformation to the digital child. A facet of the young human being, acting as a non-human who uses his human part for his real digital existence. It is useful for him to learn the principles governing virtual space before his conversion into a digital being.
The adult, the other component of the digital society, is just as useful as the child in making the digital transition at school a success. The latter should begin his or her training with the digital rather than with digital humanism. The reverse is also true; as primary school courses begin with traditional disciplines. This augurs a dual objective for this research: to get children on board with the digital mutation; and to train, upstream, the adults who are supposed to lead them to digital humanism.

Keywords: digital, humanism, digital humanism, primary school, children


1. Contexte et problématique

Le développement du numérique, à travers ses incessantes mutations matérielles et applicatives, a suscité des changements majeurs dans les usages et les comportements des humains dans leurs sociétés. Celles-ci ont, paradoxalement, intégré ces technologies numériques dans la quasi-totalité de leurs activités socioprofessionnelles pour assurer leur évolution. Une action qui a pour conséquence des profondes mutations dans leur fonctionnement au point de craindre parfois que ne soient relevés, révélés et dévoilés les dangers et risques encourus par le simple usage, même informel, de ces technologies.

La marginalisation, l’un des fléaux qui ronge encore l’humanisme, s’est emparée de l’écosystème numérique. Une catégorie spécifique de la population humaine, (en l’occurrence) les enfants du cycle primaire, semble en être victime. Elle serait même la classe sociale la plus passive de ce domaine comparativement à leurs aînés du secondaire et de l’université.

Les adultes censés accompagner cette cible enfantine dans l’acquisition de plus de connaissances en humanismes devraient s’assumer en démontrant cette même valeur humaniste aux enfants. Ce qui se manifesterait à travers le transfert de cet état d’esprit et d’intelligence, caractéristique de l’humanisme (numérique), par un retour aux valeurs fondamentales reconnues à la formation et à l’éducation. L’impact sur les territoires serait certainement visible au sortir de cette étape formative et éducationnelle.

« L’espace hybride de la culture numérique constitue une nouvelle manière de faire société. L’humanisme numérique est une manière de penser cette nouvelle réalité » (Doueihi, 2012)[1]. L’auteur évoque cette expression comme une nouvelle forme d’humanisme lié au numérique et qui prône les valeurs humaines et éthiques dans un monde en profonde transition numérique (Ibid.), au-delà des trois autres formes initialement énoncées par Claude Lévi-Strauss[2]. Cette perception confirmerait que l’école primaire reste le point de départ officiel de toute formation des êtres humains comme mis en exergue dans la citation suivante : « penser et repenser l’enseignement à un niveau autre que celui du primaire serait une aberration. L’école primaire a encore sa place dans le démarrage du processus cognitif général et progressif pour l’éducation et la formation de l’individu » (Nkuna Wa Nkuna, 2023, p. 89).

La discussion entre les partisans et les détracteurs de l’entame de cet apprentissage ou de l’utilisation de cette technologie au primaire pourrait être très houleuse. D’un côté, ceux-là soutiennent le point de vue de cet article, et de l’autre côté, ceux-ci brandissent la complexité des technologies du numérique, notamment dans leur usage, désapprouvant ainsi la posture de cette recherche.

Pour s’en convaincre, quelques dichotomies sont relevées. Dans ses recherches pour déterminer le support qui serait le mieux confortable, entre l’ordinateur et les manuels scolaires, Tricot (2015) souligne la complexité d’usage du premier support par rapport aux livres. Par contre, aucun impact n’est perçu par Clark (1983)[3] relativement à la qualité ou à l’efficacité du contenu que présent un ordinateur. Pour Kate Garland, la mémorisation n’est nullement affectée par l’outil utilisé pour la lecture (Futura Tech, 2013) alors que Kulik et Cohen (1980)[4] trouvent qu’il est avantageux d’utiliser le numérique.

N’était-ce pas une aberration ? D’autant plus que foncièrement le sujet demeure le même. Seule la présentation, la maturité et l’expérience seraient différentes à l’école primaire relativement aux niveaux qui lui sont supérieurs (Bailly, 2011).

Le plus important est de mieux appréhender le passage de l’humanisme à l’humanisme numérique. Une tentative de réponse, dans le cadre restreint de la cible enfantine indexée par cette recherche, va être développée pour essayer de faire ressortir les points de convergence qui auraient favorisé cette mutation linguistique due aux usages du numérique. En effet, dans ma thèse l’« intégration bidirectionnelle de l’informatique » est une expression qui fait allusion à la communication entre la science informatique et l’enfant dans le sens d’intégrer la technologie dans l’enfant, mais également ce dernier dans celle-là. Ce qui peut aussi s’interpréter comme le fait de « remettre de l’humain et du sens dans le numérique ou le numérique au service de l’humanité »[5]. Cette citation pourrait s’apercevoir autrement et se réaliser, d’une part, par l’intégration du matériel et des compétences numériques à l’école et dans l’élève comme savoir opérationnel ; et d’autre part, par l’intégration de l’enfant dans l’informatique « par l’entremise du mécanisme d’acceptation et d’adhésion (par lui) qui devrait déboucher à l’appropriation des outils du numérique et du code informatique. » (Nkuna Wa Nkuna, Ibid., p. 17).

L’intégration bidirectionnelle est donc perçue comme une communication entre la technologie et l’humain (ici, l’enfant). Que pourrait dire un enfant à une machine informatique, surtout que les outils utilisés en informatique « relèvent du concept général d’innovation technologique, sachant que l’enfant informe dans le sens général, alors comment l’enfant peut-il informer l’innovation technologique ? » (Ibid., p. 18). Par cette citation, il serait ingénieux de parvenir à la compréhension de l’adaptation de la technologie à l’enfant, non pas dans les usages simplement qui renverrait à l’accommodation. Aussi, serait-il incomplet et incommode de ne pas observer dans le sens contraire pour détecter également ce qu’un appareil informatique tel qu’un ordinateur pourrait bien dire à l’apprenant.

En effet, pendant mon travail de terrain dans le cadre de ma thèse, j’ai assisté à des scènes tout aussi intéressantes que curieuses relativement aux actions, réactions et interactions de certains élèves face à l’ordinateur ou au robot Thymio Wireless II, surtout lorsqu’il s’agissait, pour eux, de passer à l’activité pratique sur ces machines : pleurs, cris (à tue-tête), rétraction, angoisse, crainte, résignation, refus de toucher à l’appareil (robot, ordinateur et ses composants), etc. Les raisons sont multiples : les robots tuent les gens, le manque de téléviseur à la maison, n’a jamais touché ou travaillé avec ces appareils, en travaillant sur l’ordinateur, il va tomber en panne, etc. Des réactions probablement légitimes si l’on considère l’environnement d’absence d’usage du numérique et de précarité dans lequel la plupart de ces enfants évoluent. Une approche psychologique couplée à une médiation s’est avérée nécessaire pour concilier les deux parties en conflit.

Au regard de ce qui précède, on peut comprendre que le contexte est celui de l’intégration de l’informatique, qui sous-entend le numérique, dans le milieu scolaire, au cycle primaire ; et que la problématique est relative à la méthode pour y parvenir.

2. Humanisme

Les aspects définitionnels de ce concept sont pluriels, parfois longs et interdisciplinaires[6], avec une riche histoire d’un point de vue historique, sémantique et temporel, traversant des siècles (Aubrit & Gendrel, 2019), et des espaces géographiques. Le focus va être mis sur certains résultats de la recherche scientifique en essayant d’être pragmatique par la circonscription des domaines pris en compte et en fournissant les linéaments de la notion.

Plusieurs dictionnaires, dont Le Robert en ligne[7], s’accordent à reconnaître l’humanisme comme un mouvement intellectuel, un mouvement d’esprit, un mouvement de pensée idéologisée et optimiste, une doctrine centrée sur l’homme et ses besoins, plutôt que sur des entités ou des concepts abstraits. C’est dire que l’humanisme positionne l’homme au-dessus de tout. Il s’agit d’une approche philosophique et intellectuelle qui accorde une grande importance à l’épanouissement de l’individu, à la dignité, à la raison, à la science, à l’éducation et aux valeurs humanistes.

L’on conçoit, par conséquent, qu’au centre de l’humanisme se trouve la conviction selon laquelle tout être humain possède des capacités intellectuelles et morales susceptibles d’être améliorées ou développées, puis utilisées pour faire progresser le monde (Kintzler, 2019). L’humanisme met aussi l’accent sur l’autonomie et la responsabilité individuelles (Mounier, 2018).

Une autre perception est celle qui associe souvent l’humanisme à la laïcité, à la démocratie, au respect de la diversité et des droits de l’homme, à l’égalité des genres et à l’éducation universelle. L’humanisme cherche à promouvoir le progrès social, la compréhension interculturelle et le bien-être collectif (Robin Fortin, 2006)[8]. Cette appréhension se rapprocherait de la « durabilité sociale » dans le sens de la survie de la société. Celle-ci est vue comme une organisation humaine en interaction perpétuelle et pérenne, en dépit des changements ininterrompus qu’elle subit. Aujourd’hui et demain, avec la durabilité sociale, la société considère les besoins des humains qui la construisent et la composent. Ce qui implique la prise en compte des aspects sociaux, économiques et environnementaux dans toutes les décisions de maintien de la vie, de la santé et du bien-être (Dugarova, Utting, Cook, 2015)[9]. Le tour complet et la démarche inverse seraient ainsi bouclés entre la durabilité sociale et l’humanisme pour le bien des territoires.

3. Humanisme numérique

Si le concept historique de l’humanisme, dans le sens du mouvement cognitif, s’est imposé en Europe aux XVe et XVIe siècles, selon Aubrit et Gendrel (2019), la transition sémantique s’est poursuivie jusqu’à la fin du XIXe siècle, avant d’arriver à l’actuelle expression d’humanisme numérique. Cette dernière conserve les définitions de l’humanisme et les contextualise fondamentalement à la science numérique pour relever les potentialités cognitives de l’Homme dans ce domaine du numérique. Elle cherche à concilier les avancées des technologiques de l’information et de la communication avec les valeurs humaines que prône l’humanisme. Ce qui n’est que la reconnaissance de l’importance du numérique pour et dans la société humaine.

Dans cette optique, l’humanisme numérique promeut une utilisation éthique et responsable du numérique, en mettant l’accent sur tout ce que prône l’humanisme[10] et l’accès équitable aux opportunités offertes par le numérique (Doueihi, 2012). Pour cet auteur, « Tout débat sur la cohérence épistémologique des humanités numériques s’appuie sur une narration, celle, plus ou moins précise, de la rencontre des sciences de l’interprétation avec cette nouvelle science qu’est l’informatique. » (Doueihi, 2015).

L’humanisme numérique soulève également les questions relatives aux effets sociaux, économiques et culturels du numérique. C’est ainsi qu’il réfléchit à minimiser les inégalités numériques et à veiller à ce que personne ne soit (dé)laissé pour compte dans la société numérique. Il encourage aussi la participation active des individus dans la prise de décision technologique afin de garantir que les choix technologiques reflètent les valeurs et les intérêts des personnes concernées. Ce qui ressemble plus à l’incorporation de l’humanisme dans le numérique et semble déclencher et expliquer l’expression « humanisme numérique »

En résumé, l’humanisme numérique vise à placer les êtres humains au centre du développement et de l’utilisation du numérique, en veillant à ce qu’elle soit alignée sur les valeurs humaines fondamentales et contribue à améliorer les conditions humaines.

4. Humanisme numérique et les enfants du cycle primaire

À quoi pourrait-on faire allusion lorsqu’on intègre les enfants de l’école primaire dans le processus d’acquisition de la pensée propre à l’humanisme numérique alors qu’ils apprennent peut-être déjà les technologies du numérique, notamment la littératie numérique ? La réponse pourrait permettre d’allier l’humanisme à l’humanisme numérique restreint aux enfants du cycle primaire. La littératie numérique peut, par ailleurs, se concevoir comme une initiation à tâtons via des cycles d’essai/échec ou d’essai/erreur sur la base d’un contenu de formation bien structuré et qui vise l’acquisition dès le plus jeune âge des éléments nécessaires, les linéaments, à l’appréhension de la culture numérique (Nkuna Wa Nkuna, Ibid., p. 1). L’échec ou l’erreur n’est pas une fatalité, mais est perçu comme une opportunité de mieux faire.

Dans cette considération, plusieurs aspects peuvent être pris en compte. C’est le cas de notamment de :

  • L’éducation à l’éthique numérique : l’enseignement des principes d’éthique liés à l’usage du numérique est essentiel pour faire des enfants des bons citoyens numériques. Son contenu pourrait comprendre des discussions sur la vie privée et le respect des interlocuteurs en ligne, la responsabilité dans l’usage des médias sociaux et la lutte contre le cyber-harcèlement. C’est dans cette optique que j’enchérissais dans ma thèse en argumentant qu’« Il sied aussi de relever et de révéler avec insistance les risques liés à l’accès incontrôlé à l’information par le biais du téléphone mobile et de la navigation sur Internet par les élèves de l’école primaire. » (Nkuna Wa Nkuna, Ibid., p. 306-307). Parce que cette pratique peut conduire à des conséquences dont certaines peuvent être très désastreuses comme une « perte de repère pour l’enfant quant à l’importance et à la finalité de sa scolarisation. »(Ibid., p. 307). De manière spécifique, l’enfant peut tout aussi « plonger dans la dérive de l’immoralité numérique à travers la perversion sexuelle, la délinquance juvénile, la fraude, le vol, le rançonnement, le détournement, etc. » (Ibid.).
  • Compétences en pensée critique : La formation devrait pouvoir permettre aux enfants de développer des compétences en « pensée critique », qu’ils soient à même d’évaluer de manière décisive les informations qu’ils trouvent en ligne. Ils doivent parvenir à la distinction des sources fiables de non fiables, être aidés à comprendre les potentiels biais et à analyser les informations de manière objective. D’ailleurs, « Peu importe la littératie pratiquée, deux concepts sont au cœur d’elle : l’esprit critique et les compétences à acquérir » (Ibid., p. 327). C’est reconnaître que l’humanisme numérique fait partie de la littératie numérique.
  • L’inclusion et l’équité : Il est fondamental d’assurer ces deux concepts dans l’apprentissage du numérique. Elles permettent de fournir un accès équitable aux ressources numériques et de veiller à ce que tous les enfants, indépendamment de leur origine socio-économique ou de leur situation personnelle, aient la possibilité d’apprendre et de se développer avec et dans le numérique. En réalité, « L’intégration de l’informatique à l’école primaire devient davantage une nécessité et une obligation pour l’humanité, plus un droit pour les enfants qu’un privilège qui leur est accordé. » (Ibid., p. 50)
    Mon expérimentation a malheureusement été confrontée à plusieurs difficultés comme celles de l’accès quasi impossible au matériel en dehors de l’école par la majorité des enfants, surtout ceux de l’école publique. Ces élèves, avec le niveau social très bas de leurs parents, et l’absence de la connexion Internet, ont vécu une marginalisation qui va à l’encontre de l’équité et de l’inclusion.
  • La créativité et la collaboration : L’humanisme numérique devrait encourager les enfants pour qu’ils utilisent le numérique de manière créative. Il s’agit de les inciter à explorer, à créer du contenu original et à collaborer avec leurs pairs (élèves et maîtres). Cela pourrait inclure des activités de programmation (informatique et robotique), de création de sites web simples, de réalisation de vidéos ou de conception de jeux numériques.
    Mon expérimentation a également mis en exergue les activités de créativité avec comme exemples « la séance de créativité et d’innovation »[11] ; mais aussi le travail entre pairs (apprenants, maître), tiré de la pédagogie de Célestin Freinet (Ibid., p. 354) et de celle de Maria Montessori (Ibid., p. 352)[12], et qui rappelle le constructionnisme de Seymour Papert (1981) et le constructivisme selon Vygotski, parlant de la zone proximale de développement(ZPD)[13]. Il s’agissait de permettre aux enfants de coder et de travailler avec les robots Thymio Wireless II. Les apprenants devraient envoyer le code écrit sur l’ordinateur au robot, par l’intermédiaire d’un câble USB ou du WiFi, pour que le robot exécute les instructions contenues dans ce code.
  • La limitation de l’exposition excessive aux écrans : Tout en reconnaissant l’importance du numérique, il est également essentiel de trouver un équilibre sain pour cette problématique. L’humanisme numérique devrait encourager les enseignants et les parents à contrôler le temps d’utilisation de l’ordinateur par les enfants, éviter qu’ils passent trop d’heures devant les écrans. L’humanisme numérique devrait aussi favoriser d’autres formes d’apprentissage et d’interaction sociale, tels que le jeu en plein air, la lecture de livres au format papier et les activités créatives non numériques.
    Mon expérimentation ne s’est focalisée que sur un apprentissage utilisant l’ordinateur pour apprendre le numérique, mais aussi pour y réviser et apprendre les disciplines traditionnelles. Les séances avaient une durée de 45 minutes par semaine dans les écoles témoins contre 3 heures au centre de formation non officielle.

En appliquant ces quelques principes d’humanisme numérique qui, par ailleurs, sont non exhaustifs, on pourrait aider les enfants du cycle primaire à développer des compétences numériques essentielles tout en cultivant leur bien-être et en privilégiant leur développement holistique.

5. Questions de recherche

Au regard de ce qui précède, les questions de recherche ci-après ont été formulées :

  1. Ne serait-il pas possible de combiner les pédagogies actives de Célestin Freinet (1964) et de Maria Montessori (Poussin, 2017), les théories d’apprentissage constructivistes dans leur diversité à la littératie numérique telle que définie dans cette recherche pour mieux assurer la transition numérique au profit des enfants du primaire ?
  2. Au vu des principes régissant l’humanisme numérique spécifique aux enfants du primaire, ceux-ci ne devraient-ils pas bénéficier d’un accompagnement qui serait préparé en amont et qui intégrerait des disciplines traditionnelles ?

6. Objectifs de recherche

De ce questionnement découlent les objectifs ci-après :

  1. Intégrer le numérique au cycle primaire en s’appuyant sur des théories d’apprentissages constructivistes et des pédagogies actives nouvelles pour assurer la transition numérique de l’école de base.
  2. Préparer les adultes censés former numériquement les enfants de l’école primaire pour un usage humaniste du numérique dans les territoires.

7. Démarche méthodologique

La démarche méthodologique a été adoptée en fonction de ce qui est recherché. En effet, en considérant l’enseignement primaire comme quasi inexistant dans de la recherche scientifique du domaine du numérique, ce travail de recherche se veut de participer au renversement de cette donne en intégrant cette science dans les écoles primaires, permettre une appropriation conséquente des outils du numérique du domaine de la programmation, mais également essayer de comprendre ce qui fait que la grande majorité des enfants soit attirée par l’informatique et comment ils arrivent à s’y accommoder, de sorte à poursuivre cet élan jusqu’à atteindre les objectifs assignés par l’humanisme numérique.

La méthodologie mise en place, à cet effet, consiste, d’une part, à travailler avec trois cadres d’étude : une école primaire publique d’application, une école primaire privée et un cadre de formation non officielle tel qu’un centre de formation. Ces cadres ont permis de mener une action expérimentale de terrain et constituent l’échantillon de l’étude mis en place de manière raisonnée. Et d’autre part, d’user d’une communication de savoir numérique déduite des travaux de terrain, de la pédagogie de Célestin Freinet et de celle de Maria Montessori, jumelée dans une harmonie assez parfaite avec les théories d’apprentissage de Jean Piaget, de Seymour Papert et de Lev Vygotsky.

D’un autre point de vue, la méthodologie est séquencée suivant la temporalité en trois phases : la première phase exploratoire est introductive pour préparer l’expérimentation, en prenant contact avec les écoles témoins, en mettant au point les aspects administratifs et logistiques, en définissant l’échantillon de l’étude, la préparation des curricula et des applications pour une mise en situation à l’école officielle. La seconde phase fonctionnelle est celle de la mise en œuvre effective de l’expérimentation dans les classes réelles, du recueil et du traitement des données. La dernière phase est celle de la consolidation des acquis de l’expérimentation avec la dernière étape du traitement et de l’analyse de données recueillies.

En plus, cette formation a concerné tous les élèves du cycle primaire, depuis les classes de cours préparatoires (CP) jusqu’à celles de cours moyens (CM). La recherche-action exige, par ailleurs, à chacun de ces cadres de disposer d’un minimum de matériel informatique (ordinateurs, robots) pour la mise en situation des apprenants.

L’humanisme numérique ne pourrait être valorisé qu’avec des actions concrètes à la manière des méthodes actives qui prônent la mise de l’apprenant au centre de sa formation. C’est, en outre, ce que conseille et oblige la théorie de l’apprentissage par action de Seymour Papert (1981) en symbiose avec celle de l’évolution cognitive de l’enfant dans la construction de ses connaissances (Jean Piaget, 1936). Elles ont pour finalité la socialisation des apprenants et la sociabilisation de connaissances et d’intelligences dans la construction ou la coconstruction du savoir, mais également dans la création ou la cocréation des solutions informatiques au travers des travaux entre pairs. Il en est de même de la théorie d’apprentissage de Vygotski (Laval, 2019) qui rajoute le côté social et culturel à la construction de savoir. Vygotsky appliquerait mieux cette action dans sa pratique, peut-être mieux que Jean Piaget qui reste dans une posture plus théorique, mais non négligeable.

Pour que l’humanisme numérique soit une réalité vécue par la cible de l’étude depuis son monde, la méthodologie a eu pour soubassement la pratique en priorisant les compétences (opérationnelles) qui pourraient en aval conduire aux théories. Une approche plutôt inductive à l’instar de celle que soutient la Grounded Theory (Glaser & Strauss, 1964). L’idée étant quasiment la même que celle d’un enfant qui apprend à utiliser une quelconque télécommande (de la télévision par exemple) ou un téléphone mobile sans passer par des théories. Il finit par les maîtriser et sortir des théories d’usage avec parfois plus d’aisance. Toutefois, en relativisant, le concept n’est pas exclusif.

Pour cette démarche méthodologique, l’observation comme méthode de collecte de données serait l’une des plus pertinentes. En effet, l’observation directe et / ou indirecte, avec des outils de recueil de données comme l’appareil photo numérique, le téléphone mobile (de dernière génération), la caméra, permettraient de compléter et d’améliorer la prise de notes ainsi que tout ce qui échapperait à l’attention et à la vigilance de l’œil humain qui ne saurait tout voir. Surtout que ces observations se focalisent sur les enfants dans leur application et applicabilité des notions préalablement apprises, dans les interactions entre eux, mais aussi dans celles qui ont lieu entre eux et leurs maîtres. Elles vont jusqu’à jauger les capacités et les qualités oratoires, explicatives, exécutoires relativement aux activités à faire ou à reproduire par ces apprenants. Elles tentent également de mesurer le niveau d’attention et de concentration des élèves face aux défis qui se présentent à eux en termes des travaux à réaliser et des solutions numériques qu’ils pourraient proposer par rapport aux problèmes de la vie sociale, grâce aux outils numériques que l’informatique rend disponibles.

Les données recueillies sont traitées à l’aide du modèle de Bardin (2013) basé sur la catégorisation thématique des données qualitatives collectées. Ce dernier est couplé à la Grounded Theory (ou théorie ancrée) qui prône des collectes itératives des données par des retours successifs sur le terrain de la recherche jusqu’à constater la « saturation de l’analyse » c’est-à-dire jusqu’à parvenir « au constat de l’inaltération du résultat précédent par l’analyse de la nouvelle occurrence de données collectées grâce au mécanisme de comparaison constante. » (Nkuna Wa Nkuna, 2023, p.56).

La chaîne de traitement se poursuit avec l’outil informatique MAXQDA (Verbi, 2020), spécialisé dans l’analyse des données qualitatives (textes, images, vidéo), pour aboutir aux construits théoriques. Avec ce logiciel, on perçoit correctement la catégorisation thématique de Bardin (2013). Un processus rigoureux est à suivre avec cet outil pour savoir comment le travail s’est déroulé, comment il a été géré, les effets du phénomène étudié (par rapport aux enfants), la validation des découvertes, jusqu’à la construction des théories.

Pour finir avec cette partie, il est à noter que l’un des éléments remarquables de la méthode de communication de savoir qui a permis de matérialiser l’enseignement et l’apprentissage de la programmation, informatique ou robotique, est le recours au connu (schème) de l’enfant pour lui apprendre l’inconnu (nouveauté, originalité), en le fusionnant avec la pédagogie active. En sus, il est recommandé de laisser l’enfant découvrir par lui-même, de l’accompagner dans cet exercice cognitif de découverte au lieu de lui faire découvrir, de travailler à la rétention qu’au rabâchage, à la responsabilisation et à l’autonomisation qu’au conditionnement dans le sens du behaviorisme, à la socialisation, à la sociabilisation et à la cocréation qu’à l’individualisation.

8. Résultats

Comme résultats attendus et/ou obtenus, il y a ceux qui vont mettre en orbite l’indispensabilité de l’humanisme numérique dans un monde qui se trouve en pleine transition numérique. Un monde qui pratique déjà la littératie numérique au bénéfice des enfants de l’école primaire qui, elle-même, connaît déjà, même par atermoiements, la transition numérique.

Les résultats peuvent se présenter suivant une taxonomie à trois étages, parfois considérés comme des théories issues des travaux empiriques. La première catégorie correspond aux résultats d’ordre général, la deuxième catégorie est relative aux apprenants alors que la troisième catégorie se rapporte aux maîtres. Néanmoins, une interdépendance existe entre ces catégories.

Les résultats d’ordre général sont notamment : les trois modèles d’évaluation[14] et les cinq types de séances[15] sortis des travaux empiriques ; un modèle de communication quadrilatère entre l’apprenant, l’enseignant, le savoir et la machine informatique, contenant deux triangles : un pédagogique[16] (Houssaye, 2015) et l’autre informatique ou médiatique[17]. « L’appellation de triangle informatique est employée lorsque c’est le dispositif technique qui est en usage. À l’inverse, lorsqu’il est question de l’outil de médiation, c’est la dénomination de triangle médiatique qui va être de mise. »(Nkuna Wa Nkuna, 2023, p. 195). Il s’agit de l’information qui circule entre l’enseignant, l’apprenant, leurs savoirs et leurs ordinateurs respectifs dans le contexte de la pratique de la littératie numérique. Poursuivant avec ces résultats, on peut énumérer : l’acculturation au numérique comme un processus d’évacuation progressive des causes, souvent d’origine sociale et non formelle, qui bloquent la transition et la mutation numérique ; la littératie numérique devrait se pratiquer dans un environnement approprié, avec un matériel adéquat, favorisant l’attention des élèves, et l’interaction entre l’informatique et les disciplines traditionnelles.

Pour ce qui est des résultats en lien avec les enfants, on peut dénombrer le lexique des mots et expressions détectés, utilisés et alignés sur le développement cognitif de l’enfant ; l’influence réciproque de l’informatique sur les disciplines traditionnelles ; les réactions observées sur la majorité des élèves lors de leur premier contact avec l’outil informatique sont partagées entre la nouveauté et l’originalité à découvrir et l’inconnu qui, parfois, leur transmet de l’inquiétude ; l’échec est une erreur corrigible à l’itération suivante et non pas une fatalité ; les enfants qui s’appliquent mieux deviennent les maîtres de leurs pairs pendant le jeu des rôles ; les éléments à l’origine de l’attraction des enfants par le numérique sont entre autres la quintessence de l’information à communiquer ainsi que son originalité et sa nouveauté, l’enseignant de la discipline informatique et la méthodologie qu’il emploie, le matériel informatique, les pédagogies dites nouvelles, la pratique sur ordinateur, l’acquisition des compétences, les entraides et les interactions en libre échange autorisé, l’apprentissage collectif informel entre apprenant et parfois à l’insu du formateur, la socialisation et la sociabilisation,  compétitions inédites et informelles.

Enfin, relativement aux maîtres du primaire, on recense les quelques résultats qui suivent : la formation des maîtres en informatique spécifique aux enfants est un impératif à celle des enfants, les formations en informatique que reçoivent les maîtres, par-ci par-là, constituent un fondement utile à la littératie numérique pratiquée en classe réelle ; la formation dispensée aux maîtres est quasi pérenne pour les écoles publiques où l’État s’investit dans leur formation, mais elle est perçue comme une dépense financière par les écoles privées qui ne veulent pas investir dans une ressource humaine qui ne serait pas pérenne.

L’un des résultats importants envisagés serait l’influence de l’humanisme numérique dans le quotidien social de ces enfants, et donc dans les territoires dans lesquels ils vivent. Les compétences opérationnelles acquises pourraient contribuer positivement à l’essor de leur territoire.

Bibliographie

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[1] Cité par Wallet (2012)

[2] « l’humanisme aristocratique de la Renaissance, ancré dans la découverte des textes de l’Antiquité classique ; l’humanisme bourgeois de l’exotisme, associé à la découverte des cultures de l’Orient et de l’Extrême-Orient ; enfin, l’humanisme démocratique du XXe siècle, celui de l’anthropologue, qui fait appel à la totalité des activités des sociétés humaines. » Mélanie Le Forestier (2014).

[3] Cité aussi par la mission Fourgous Jean-Michel (2010, p. 105).

[4] Ibid.

[5] Appel à communication, Conférence Internationale EUTIC-2023, https://conference-eutic.org/, consulté le 30 mai 2023.

[6] « Cela tient sans doute à l’apparition tardive du terme en son sens historique. Longtemps synonyme de « philanthropie », il ne trouve son acception culturelle qu’à la fin du XIXe siècle (en France, il semble que ce soit dans un article de La Revue des Deux Mondes, en 1877), mais très vite, le concept s’élargit de nouveau en un sens philosophique. » (Aubrit & Gendrel, 2019)

[7] 2023 Dictionnaires Le Robert – Le Grand Robert de la langue française, https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/humanisme (Renaud — Télérama, 16 mars 2016), https://www.toupie.org/Dictionnaire/Humanisme.htm, https://www.cnrtl.fr/definition/humanisme.

[8] Par cette œuvre, Robin Fortin embrasse l’ensemble de La Méthode d’Edgar Morin qui est une vaste réflexion interdisciplinaire qui aborde les questions relatives à plusieurs axes de l’humanisme.

[9] Appel à communication, Conférence Internationale EUTIC-2023, https://conference-eutic.org/, consulté le 30 mai 2023.

[10] À l’instar des droits de l’homme, de la protection de la vie privée, de la dignité humaine, de la liberté d’expression.

[11] « L’élève devrait utiliser ce qu’il connaît, ce qu’il a appris pour créer ou innover. Après un moment d’apprentissage, on laisse à l’enfant le temps de faire jaillir son génie créateur en démontrant ses capacités conciliatrices des mondes physique et numérique dans une parfaite symbiose de la hiérarchisation et de la mise en ordre des notions apprises pour créer des solutions numériques partant des problèmes physiques. » (Nkuna Wa Nkuna, 2023, p. 162)

[12] « Avec cette démarche, j’avais présumé arriver aux résultats similaires à ceux de Maria Montessori dans le contexte purement informatique. En m’inspirant de certaines de ses notions comme le développement complet de l’enfant avec responsabilisation, l’absence de prise de notes et de devoirs, l’apprentissage collectif et les échanges entre pairs, etc. » (Ibid., p. 358)

[13] « Cette expression explique que l’enfant peut arriver à réaliser certaines activités lorsqu’il bénéficie de l’apport, de l’aide ou du soutien d’une personne plus compétente que lui, en l’occurrence son maître, pendant les constructions de ses connaissances. La zone proximale de développement permet de distinguer les activités ou tâches que peut réaliser l’enfant de manière autonome, sans aide extérieure, de celles qu’il ne peut exécuter qu’avec l’aide de son enseignant, par exemple » (Ibid., p. 274)

[14] Qui trouve s’en va, Par récurrence et Modèle actif.

[15] Séances de libre choix, de découverte, de reprise d’activités, de créativité et d’innovation, et introductive, réservée à la théorique.

[16] Composé des sommets Enseignant-Apprenant-Savoir

[17] Constitué des sommets Enseignant-Apprenant-Machine. Le Savoir est supposé être délocalisé sur la Machine.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
mshbordeaux (14 octobre 2024). Humanisme et usages du numérique dans les territoires pour repenser l’éducation et la formation des enfants de l’école primaire à l’ère du numérique. Maison des Sciences Humaines Bordeaux. Consulté le 17 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12hkk


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